Faire de l’ordinaire de la poésie !


Peindre des pommes n'est pas simple. Il s'agit du sujet le plus banal au monde. Mal peintes et les pommes deviennent d'un ennui mortel. Mais bien peintes, elles passent d'ordinaires à extraordinaires.

Quoi peindre ? Quel sujet choisir ? 
Un peintre se pose cette question à chaque nouvelle peinture. Il sait que le choix de ses sujets est révélateur de son goût.
Suis une 2e question :
Comment rendre ce sujet intéressant ? Comment en faire une image poétique ?
C'est la question la plus importante. En réalité, c'est la seule question qui importe. Il n'y a pas de mauvais sujet, que de mauvaises peintures. Tout a un potentiel. A l'artiste de le révéler.

>> Retrouvez moi en cours pour enrichir enfin votre art !

La lecture du jour :


Touche. Beaucoup de maîtres ont évité de la faire sentir, pensant sans doute se rapprocher de la nature, qui effectivement n’en présente pas. La touche est un moyen comme un autre de contribuer à rendre la pensée dans la peinture. Sans doute une peinture peut être très belle sans montrer la touche, mais il est puéril de penser qu’on se rapproche de l’effet de la nature en ceci : autant vaudrait-il faire sur son tableau de véritables reliefs colorés, sous prétexte que les corps sont saillants !

Il y a dans tous les arts des moyens d’exécution adoptés et convenus, et on n’est qu’un connaisseur imparfait quand on ne sait pas lire dans ces indications de la pensée ; la preuve, c’est que le vulgaire préfère, à tous les autres, les tableaux les plus lisses et les moins touchés, et les préfère à cause de cela. Tout dépend au reste, dans l’ouvrage d’un véritable maître, de la distance commandée pour regarder son tableau. A une certaine distance la touche se fond dans l’ensemble, mais elle donne à la peinture un accent que le fondu des teintes ne peut produire. En regardant, par contre, de très près l’ouvrage le plus fini, on découvrira encore des traces de touches et d’accents, etc… Il résulterait de là qu’une esquisse bien touchée ne peut faire autant de plaisir qu’un tableau bien fini, je devrais dire non touché, car il est bon nombre de tableaux dont la touche est complètement absente, mais qui sont loin d'être finis.

La touche, employée comme il convient, sert à prononcer plus convenablement les différents plans des objets. Fortement accusée, elle les fait venir en avant ; le contraire les recule. Dans les petits tableaux même, la touche ne déplaît point. On peut préférer un Téniers à un Mieris ou à un Van der Meer.
Que dira-t-on des maîtres qui prononcent sèchement les contours tout en s’abstenant de la touche ? Il n’y a pas plus de contours qu’il n’y a de touches dans la nature. Il faut toujours en revenir à des moyens convenus dans chaque art, qui sont le langage de cet art. Qu’est-ce qu’un dessin au blanc et au noir, si ce n’est une convention à laquelle le spectateur est habitué et qui n’empêche pas son imagination de voir dans cette traduction de la nature un équivalent complet ?

Il en est de même de la gravure. Il ne faut pas un œil bien clairvoyant pour apercevoir cette multitude de tailles dont le croisement amène l’effet que le graveur veut produire. Ce sont des touches plus ou moins ingénieuses dans leur disposition qui, tantôt espacées pour laisser jouer le papier et donner plus de transparence au travail, tantôt rapprochées les unes des autres pour assourdir la teinte et lui donner l’apparence de la continuité, rendent par des moyens de convention, mais que le sentiment a découverts et consacrés et sans employer la magie de la couleur, non pas pour le sens purement physique de la vue, mais pour les yeux de l’esprit ou de l'âme, toutes les richesses de la nature : la peau éclatante de fraîcheur de la jeune fille, les rides du vieillard, le moelleux des étoffes, la transparence des eaux, le lointain des ciels et des montagnes.

Si l’on se prévaut de l’absence de touche de certains tableaux de grands maîtres, il ne faut pas oublier que le temps amortit la touche. Beaucoup de ces peintres qui évitent la touche avec le plus grand soin, sous prétexte qu’elle n’est pas dans la nature, exagèrent le contour, qui ne s’y trouve pas davantage. Ils pensent ainsi introduire une précision qui n’est réelle que pour les sens peu exercés des demi-connaisseurs. Ils se dispensent même d’exprimer convenablement les reliefs, grâce à ce moyen grossier ennemi de toute illusion ; car ce contour prononcé également et outre mesure annule la saillie en faisant venir en avant les parties qui dans tout objet sont toujours les plus éloignées de l'œil, c’est-à-dire les contours.

L’admiration exagérée des vieilles fresques a contribué à entretenir chez beaucoup d’artistes cette propension à outrer les contours. Dans ce genre de peinture, la nécessité où est le peintre de tracer avec certitude ses contours est une nécessité commandée par l’exécution matérielle ; d’ailleurs, dans ce genre comme dans la peinture sur verre, où les moyens sont plus conventionnels que ceux de la peinture à l’huile, il faut peindre à grands traits ; le peintre ne cherche pas tant à séduire par l’effet de la couleur que par la grande disposition des lignes et leur accord avec celles de l’architecture.

La sculpture a sa convention comme la peinture et la gravure. On n’est point choqué de la froideur qui semblerait devoir résulter de la couleur uniforme des matières qu’elle emploie, que ce soit le marbre, le bois, la pierre, l’ivoire, etc. Le défaut de coloration des yeux, des cheveux, n’est pas un obstacle au genre d’expression que comporte cet art. L’isolement des figures de ronde bosse, sans rapport avec un fond quelconque, la convention bien autrement forte des bas-reliefs n’y nuisent pas davantage.
La sculpture elle-même comporte la touche ; l’exagération de certains creux ou leur disposition ajoute à l’effet, comme, par exemple, ces trous percés au vilebrequin dans certaines parties des cheveux ou des accessoires qui, au lieu d’une ligne creusée d’une manière continue, adoucissent à distance ce qu’elle avait de trop dur et ajoutent à la souplesse, donnent l’idée de la légèreté, surtout dans les cheveux, dont les ondulations ne se suivent pas d’une manière trop formelle.
Eugène Delacroix

0 commentaire(s):

Enregistrer un commentaire