Le beau, le laid et le caractère selon Rodin (extrait) !

A lire ou relire, ce petit livre de 164 pages, une véritable bible pour l'artiste ! Extrait :


« Dans l’Art, est beau uniquement ce qui a du caractère. Le caractère, c’est la vérité intense d’un spectacle naturel quelconque, beau ou laid ; et même c’est ce qu’on pourrait appeler une vérité double : car c’est celle du dedans traduite par celle du dehors : c’est l’âme, le sentiment, l’idée, qu’expriment les traits d’un visage, les gestes et les actions d’un être humain, les tons d’un ciel, la ligne d’un horizon.



Or pour le grand artiste, tout dans la Nature offre du caractère : car l’intransigeante franchise de son observation pénètre le sens caché de toute chose. Et ce qui est considéré comme laid dans la Nature présente souvent plus de caractère que ce qui est qualifié de beau, parce que dans la crispation d’une physionomie maladive, dans le ravinement d’un masque vicieux, dans toute déformation, dans toute flétrissure, la vérité intérieure éclate plus aisément que sur des traits réguliers et sains.



Et comme c’est uniquement la puissance du caractère qui fait la beauté de l’Art, il arrive souvent que plus un être est laid dans la Nature, plus il est beau dans l’Art. Il n’y a de laid dans l’Art que ce qui est sans caractère, c’est-à-dire ce qui n’offre aucune vérité extérieure ni intérieure. Est laid dans l’Art ce qui est faux, ce qui est artificiel, ce qui cherche à être joli ou beau au lieu d’être expressif, ce qui est mièvre et précieux, ce qui sourit sans motif, ce qui se manière sans raison, ce qui se cambre et se carre sans cause, tout ce qui est sans âme et sans vérité, tout ce qui n’est que parade de beauté ou de grâce, tout ce qui ment.


Adolf Menzel

Quand un artiste, dans l’intention d’embellir la Nature, ajoute du vert au printemps, du rose à l’aurore, du pourpre à de jeunes lèvres, il crée de la laideur parce qu’il ment. Quand il atténue la grimace de la douleur, l’avachissement de la vieillesse, la hideur de la perversité, quand il arrange la Nature, quand il la gaze, la déguise, la tempère pour plaire au public ignorant, il crée de la laideur, parce qu’il a peur de la vérité. Pour l’artiste digne de ce nom, tout est beau dans la Nature, parce que ses yeux, acceptant intrépidement toute vérité extérieure, y lisent sans peine, comme à livre ouvert, toute vérité intérieure. »


Extrait de L’Art, entretiens réunis par Paul Gsell, ed. Grasset, « Cahiers rouges »
>> Ouvrage consultable ici !


Les Vieux Souliers aux lacets (Vincent Van Gogh, automne 1886)

Ce qui est remarquable en revanche dans ce tableau de van Gogh, selon Heidegger, c’est que la chaussure est présentée comme un absolu, isolée de tout contexte utilitaire qui permettrait de l’assujettir à une quelconque maîtrise : « D’après la toile de van Gogh, nous ne pouvons pas même établir où se trouvent ces souliers. Autour de cette paire de souliers de paysan, il n’y a rigoureusement rien où ils puissent prendre place : rien qu’un espace vague » (Chemins, 33-34).

Est-ce à dire que la chose, telle que l’œuvre d’art la fait advenir dans la présence, est dépourvue de toute signification et ne renvoie qu’à elle-même?
Bien au contraire, c’est seulement par la présentation propre à l’œuvre d’art que la chose cesse de se référer à d’autres choses, ou d’autres étants, selon le système de corrélations qui détermine l’outil intra-mondain, pour pratiquer ou ouverture ou éclaircie vers l’Être, pour dévoiler l’Être dont elle provient.

C’est ainsi que, selon Heidegger, les souliers fatigués de Van Gogh nous font nous ressouvenir de « la lente et opiniâtre foulée à travers champs, le long des sillons toujours semblables, s’étendant au loin sous la bise. Le cuir est marqué par la terre grasse et humide. A travers ces chaussures passe l’appel silencieux de la terre, son don tacite du grain mûrissant, son secret refus d’elle-même dans l’aride jachère du champ hivernal.
A travers ce produit, repasse la muette inquiétude pour la sûreté du pain, la joie silencieuse de survivre à nouveau au besoin, l’angoisse de la naissance imminente, le frémissement sous la mort qui menace. Ce produit appartient à la terre, il est à l’abri dans le monde de la paysanne » (Chemins, 34) ..."
Jacques Darriulat: Heidegger et l’origine de l’œuvre d’art


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